L’actualité récente, aussi tragique que révélatrice, nous offre une opportunité de réflexion sur l’avenir de bitcoin et des cryptomonnaies dans un monde où la sécurité, tant numérique que physique, est une préoccupation croissante. L’enlèvement, la séquestration et la demande de rançon d’un des cofondateurs de Ledger, David Balland, soulèvent des questions profondes sur les défis et les paradoxes liés à la démocratisation des cryptos.
Médiatisation, richesse et vulnérabilité
David Balland est sans doute devenu une cible évidente pour des criminels opportunistes, mais pourquoi ? La réponse réside probablement dans une combinaison de facteurs. À l’heure où les success stories autour de bitcoin s’affichent sur les réseaux sociaux et dans les médias, l’idée que "pour vivre heureux, vivons caché" semble avoir été reléguée au second plan. Être associé à une entreprise aussi emblématique que Ledger, leader des portefeuilles physiques pour cryptomonnaies, place ses dirigeants sous les projecteurs d’un monde où la richesse devient synonyme de vulnérabilité.
La médiatisation de certaines figures de l’écosystème crypto, parfois empreinte d’une mise en scène ostentatoire, peut renforcer cette exposition au risque. Ces "success stories" servent certes à promouvoir l’adoption des cryptos, mais elles transforment également leurs protagonistes en cibles idéales. Une réalité qui, dans ce cas précis, a pris une tournure tragique.
Bitcoin : liberté ou incitation au crime ?
Le dogme bien connu dans l’écosystème crypto, "not your keys, not your crypto", a permis à des millions d’utilisateurs de se réapproprier leur souveraineté financière. Mais il ouvre aussi une porte à un problème inattendu : la perception de richesse immédiate et directe que ce principe véhicule peut être une incitation pour certains criminels. Pourtant, limiter cet événement tragique à une simple question de possession des clés privées serait réducteur.
L’incensurabilité des transactions en bitcoin ou autres cryptomonnaies est un élément central de leur proposition de valeur. Cependant, c’est précisément cette qualité qui attire les criminels. À la différence du cash, les cryptos permettent une transaction rapide et mondiale. Une demande de rançon en bitcoin ou en stablecoin comme le Tether peut être réalisée en quelques minutes, sans nécessiter de mallette de billets ou une logistique complexe. En cela, les cryptos augmentent la vraisemblance du risque, par leur efficacité. En réalité, ce problème pourrait également toucher des individus qui n'ont jamais possédé de cryptomonnaies. Il évoque d'ailleurs une dynamique similaire à celle des ransomwares qui ciblent les entreprises, où la simple capacité à payer en crypto devient un levier pour les criminels.
L’échec des criminels : amateurs ou ingénuité technologique ?
Dans cette affaire, les criminels ont opté pour un paiement (ou une conversion après le premier paiement, je ne sais pas) en Tether, un stablecoin centralisé adossé au dollar. Ce choix, s’il témoigne d’une certaine compréhension du monde des cryptos, révèle également leurs limites. Tether, étant émis par une entité centralisée, peut être gelé sur demande des autorités. C’est probablement ce qui s’est produit ici, empêchant les criminels de profiter de leur butin (dans très longtemps, puisqu'ils ont été arrêtés).
Ce détail souligne une ironie : les cryptos, vantées pour leur résistance à la censure, ont dans ce cas permis un coup de maître des forces de l’ordre. L’amateurisme des criminels dans la gestion de la rançon contraste fortement avec la dangerosité de leurs actes, mais il ouvre une brèche dans notre compréhension du rôle des cryptos dans ce type de crime.
Un problème insoluble pour Bitcoin ?
Depuis longtemps, je suis l’évolution de bitcoin et des cryptos. J’ai lu énormément d'actualité préoccupante dans le secteur. Mais cette affaire est peut-être la première à me faire douter de certains fondamentaux.
Le problème posé ici dépasse le cadre de bitcoin. Ce n’est pas qu'une question de sécurité des clés privées. C’est une question humaine, sociétale. La richesse, qu’elle soit en bitcoin, en cash ou sous forme d’actifs traditionnels, attire toujours le crime. Mais l’efficacité et l’incensurabilité de bitcoin exacerbent cette réalité.
On pourrait argumenter que des solutions comme le multi-signature ou l’utilisation d’intermédiaires pourraient réduire ce risque. Mais aucun dispositif technique ou organisationnel ne pourront empêcher des criminels d’exercer une pression physique, comme l’enlèvement d’un proche, pour parvenir à leurs fins. Ce risque est natif à ces "infrastructures de propriété mondiales et incensurables".
Une réponse régalienne nécessaire
L’ironie de cette histoire réside dans le fait que bitcoin, né d’une vision libertaire et anti-étatique, pourrait voir son avenir lié à une réponse étatique. Face à ce nouveau risque pour l’intégrité physique des individus, seule une réponse pénale forte, couplée à un renforcement de la sécurité, semble envisageable.
Les États, souvent critiqués dans l’écosystème bitcoin pour leur tendance à sur-réglementer ou à censurer, se retrouvent paradoxalement comme les seuls garants d’une certaine stabilité. Cela ne signifie pas que le rêve d’une souveraineté individuelle est mort, mais plutôt qu’il doit coexister avec des structures capables d’assurer une sécurité minimale.
Une leçon pour l’avenir
Cette affaire rappelle que l’adoption massive de bitcoin et des cryptos ne sera pas linéaire. Elle sera ponctuée de défis, d’ajustements et de réinventions. Les cryptos sont une technologie puissante, mais elles ne résolvent pas les problèmes fondamentaux de l’humanité. La médiatisation, la sécurité et la gouvernance resteront des questions centrales dans leur démocratisation.
Pour ma part, je reste convaincu que bitcoin a un rôle essentiel à jouer dans l’avenir financier et monétaire mondial (le volet libéral de bitcoin grâce à son stock fini). Mais cette conviction s’accompagne désormais d’une reconnaissance lucide des défis qu’il pose. Le rêve d’un monde sans État, où chacun vivrait en totale souveraineté, ne m’a jamais semblé souhaitable. Sur ce point, Ayn Rand (et d’autres penseurs) avait probablement raison. En revanche, un État régalien, minimaliste, garantissant à la fois la sécurité et la liberté, reste une vision compatible avec l’esprit originel de bitcoin.
L’avenir des cryptos, et surtout de bitcoin, dépendra de notre capacité à naviguer entre ces paradoxes. Pour vivre libre, il faudra aussi vivre prudent.