Depuis plus de quatre décennies, la France semble s’être engagée dans une trajectoire économique marquée par des choix structurels dont les conséquences pèsent lourdement sur sa compétitivité et son avenir industriel. Ces choix, centrés sur un modèle unique de financement de la solidarité nationale, ont progressivement érodé les marges des entreprises, freinant leur capacité d’investissement et d’innovation. Aujourd’hui, avec une dette publique atteignant un niveau record de 3 300 milliards d’euros fin 2024, examinons les racines de cet échec.
Un modèle de solidarité nationale à contre-courant
Contrairement à la plupart des pays développés, où la solidarité nationale repose principalement sur les ménages via l’impôt sur le revenu ou la TVA, la France a choisi de faire peser ce financement sur les entreprises. En théorie, cette approche devait protéger le pouvoir d’achat des ménages. En pratique, elle a créé un cercle vicieux : les prélèvements sur les bénéfices des entreprises n’ont cessé d’augmenter, réduisant leurs marges et, par conséquent, leur capacité à investir dans l’innovation et la modernisation.
Cette stratégie, pourtant bien intentionnée, a négligé un fait fondamental : les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. En étranglant les marges des entreprises, on les a empêchées d’assurer leur compétitivité, tant sur le marché intérieur qu’à l’exportation.
La désindustrialisation : une conséquence structurelle
La désindustrialisation française n’est pas un hasard. Elle découle directement de la réduction constante des marges bénéficiaires des entreprises. Ces dernières ont dû jongler avec des priorités contradictoires : financer la solidarité nationale, maintenir des prix compétitifs face à une concurrence internationale féroce, et investir dans la recherche et le développement pour rester pertinentes dans un monde en mutation rapide.
Le résultat ? Une incapacité à transformer notre industrie lourde en une industrie hautement spécialisée, capable de rivaliser sur des marchés de niche à forte valeur ajoutée. Pendant que l’Allemagne investissait dans des industries de pointe et développait des filières exportatrices robustes, la France s’est enlisée dans une politique favorisant la consommation immédiate au détriment de la production.
Comme l’explique Félix Torrès et Michel Hau dans leur ouvrage "Le décrochage français" (2024), cette perte de compétitivité s’inscrit dans une série de choix historiques ayant progressivement affaibli le tissu industriel. Ils décrivent avec précision comment la France a accumulé des retards stratégiques, en évitant les réformes structurelles nécessaires à son adaptation dans un environnement globalisé.
Une politique de l’offre inachevée
Bien que certains gouvernements aient tenté de relancer la machine économique par des mesures favorisant l’offre, ces efforts sont restés superficiels. Ils n’ont pas adressé le problème central : la refonte nécessaire de l’État providence à la française. Au lieu de réduire les prélèvements pesant sur les entreprises, on a préféré financer des politiques de relance par une dette publique galopante, passant de 20 % du PIB en 1980 à près de 120 % en 2024.
La France a ainsi accumulé des dettes pour masquer ses faiblesses structurelles, sans s’attaquer aux racines du problème. En période de crise, lorsque les entreprises auraient eu besoin de respirer pour rester compétitives face au reste du monde, elles ont été maintenues sous une pression fiscale et sociale intenable.
Un avenir compromis
Cette stratégie a mené à un double échec : une désindustrialisation accélérée et une dépendance croissante à une dette publique incontrôlable. Les conséquences se ressentent dans l’ensemble de l’économie : des emplois industriels détruits, une balance commerciale déficitaire, et un État providence de plus en plus difficile à financer.
Pour redresser la barre, il est urgent de reconnaître les erreurs du passé et de revoir notre modèle. Cela implique de cesser de considérer les entreprises comme des vaches à lait de la solidarité nationale et de comprendre que leur succès est indissociable de celui du pays tout entier. La solution réside dans une refonte de l’État providence, une réduction des prélèvements pesant sur les entreprises, et un retour à une politique favorisant la production et l’investissement.