Dans ma dernière publication "Pourquoi bitcoin ne devrait pas devenir une monnaie "complète" ?", j’ai essayé de démontrer les raisons pour lesquelles bitcoin restera volatile, et qu’il devrait échouer à devenir une monnaie « complète », notamment au Salvador.
Avec un stock stable d’unités (encaisse monétaire nominale), l’ajustement (encaisse monétaire désirée) via le marché libre s’effectuerait via la valeur de ce stock (= pouvoir d’achat = encaisse monétaire réelle).
Si la variable d’ajustement c’est la valeur du stock, 1 bitcoin n’aura pas le même pouvoir d’achat dans le temps.
Si bitcoin n’a pas le même pouvoir d’achat dans le temps, c’est une monnaie volatile.
Dans une économie fermée, la valeur de ce stock augmenterait, donc bitcoin à une logique déflationniste. Dans une économie ouverte, la donne serait plus complexe car bitcoin circulerait entre plusieurs zones économiques et pays, via l’exportation et l’importation de biens et services. Les pays dont la balance commerciale serait excédentaire auraient plus de bitcoins en circulation sur leurs territoires, ce qui génèrerait une inflation des prix localement. A l’inverse, les pays dont la balance commerciale serait déficitaire, auraient moins de bitcoins en circulation, ce qui génèrerait une déflation des prix localement. Si l’économie mondiale est en croissance, la valeur du stock de bitcoins devrait malgré tout croître.
Si la demande globale en bitcoin augmente via la croissance des transactions, le cours de chaque unité ne peut que structurellement croître du fait de sa rareté. Le prix du bitcoin augmentant, celui d'une marchandise décroît si on l'exprime en bitcoin. Par exemple, si une voiture vaut 1 bitcoin aujourd’hui, cette même voiture (sans décote liée à la vétusté) dans X années vaudrait une subdivision de bitcoin (0,1 bitcoin disons pour l’exemple). Pareil pour votre salaire, ou votre maison. Les prix exprimés en bitcoin seraient de plus en plus petit. Cette baisse nominale, est uniquement psychologique, et n’aurait à priori pas d’impact sur votre pouvoir d’achat réel. Au moins un temps. bitcoin continuerait d’être un medium d’échanges fonctionnel dans une logique déflationniste, car chaque bitcoin est sécable jusqu’à 100 000 000 de sous-unités (unité Satoshi). Aujourd’hui une baguette c’est environ 1 euro, soit 0,000025 bitcoin, soit 2 500 Satoshi. Si 1 bitcoin valait l’équivalent de 100 000 000 de nos euros actuels. 1 Satoshi ça serait le prix d’une baguette.
Intellectuellement, c’est très difficile d’appréhender un monde déflationniste, car nous vivons dans un monde inflationniste. Même sous le régime étalon-or, il y avait une inflation du stock d’or, et la croissance des échanges commerciaux n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui.
Le moment où certains prix de produits de grande consommation commenceraient à être voisins de ce que j’appelle la « constante Satoshi », il pourrait s’agir de « la singularité Satoshi ».
Le processus déflationniste s’arrête.
En mathématiques, une singularité est en général un point, une valeur ou un cas dans lequel un certain objet mathématique n'est pas bien défini ou bien subit une transition.
Si bitcoin est utilisé en tant que moyen de paiement, un moment viendra peut-être où le système monétaire atteindra cette singularité.
C’est le moment où les prix exprimés en bitcoin ne pourront plus descendre. C’est une limite planchée indépassable native au système monétaire alternatif bitcoin via le code. Cette limite n’est vraie que dans un système monétaire où il n’y aurait que bitcoin comme monnaie. Accroître la divisibilité du bitcoin permettrait au processus de déflation de se poursuivre jusqu’à l’atteinte de la nouvelle borne plus basse, mais pour cela il faudrait modifier le code de Bitcoin.
Pour savoir si bitcoin est un bon système monétaire ou non, il faudrait donc identifier quel serait l’impact macro-économique de l’atteinte de cette « constante Satoshi » ?
Cette question ne devrait pas être éludée dans un débat sérieux sur bitcoin.
Assisterions-nous à un effondrement monétaire et de l’économie ?
Assisterions-nous à une contraction de l’économie ?
Assisterions-nous à une stagnation de l’économie ?
Assisterions-nous à un rebond hyper inflationniste spéculatif de l’économie ?
Assisterions-nous à une transformation de l’économie ?
Ce qu’on peut raisonnement conclure sur la singularité Satoshi, c’est que l’impact réel est incertain.
Par conséquent, souhaiter l’avènement d’un tel système monétaire mondial, ça ressemble à un pari « ça passe » ou « ça casse ».
Les maximalistes bitcoin, souhaitent presque tous que bitcoin devienne une monnaie complète car le « projet » de monnaie libre serait total.
Bitcoin a démontré qu’il pouvait être une réserve de valeur. Par contre, aujourd’hui, il subsiste un doute sur sa capacité à devenir un bon intermédiaire dans les échanges et une unité de compte, notamment à cause de cette fluctuation de la valeur, et in fine de cette logique déflationniste.
C’est sur ce point précis que devrait se cristalliser les débats à mon avis quand on évoque le sujet bitcoin car c’est ce point qui aurait l’impact le plus important sur nos vies. Positif ou négatif, c’est l’inconnu.
Toutefois, il semble il y avoir un consensus entre certains pro et anti bitcoin sur l’orientation à donner à un hypothétique système monétaire refondé. La cause des désordres monétaires semble étroitement liée à l'émission monopolistique des monnaies par les Etats.
A ma connaissance, il y a au moins deux grands concepts d’équilibrage monétaire.
Soit le stock de monnaie est stable et c'est la valeur du stock qui bouge.
Le marché libre de l’offre et de la demande fixe la bonne valeur seul.
Soit le stock de monnaie bouge pour que la valeur reste stable.
Si on veut que le stock bouge - sans monopole - il faut libéraliser l’émission de monnaie. C’est la concurrence entre les monnaies qui fixe la bonne quantité agrégée des monnaies sur une zone économique.
Ces deux conceptions impliquent des avantages et des inconvénients des deux côtés.
Bitcoin monnaie mondiale unique c’est l’ajustement de la valeur du stock. C’est la solution où bitcoin serait utilisé en tant que monnaie de paiement. Cette solution débouche sur une logique déflationniste, et sur la « singularité Satoshi » lorsque la « constante Satoshi » est atteinte. L’avantage de ce système est qu’il n’a besoin d’aucune administration de la monnaie. C’est la demande des unités monétaires qui fixe la valeur du stock. Cela pourrait avoir de bons résultats économiques, sociaux, humains, politiques, et même sur l’écologie. Le souci c’est que nous ne savons pas, car ça n’a jamais été testé.
Autre inconvénient, une monnaie qui s’apprécie engendre une part de spéculation et donc potentiellement la formation de bulles et de crises.
Dans ce format, la monnaie est vue comme une marchandise (une monnaie marchandise synthétique avec une rareté absolue), et est soumise comme d’autres biens au marché de l’offre et de la demande.
Dernier inconvénient majeur, en cas de crash du réseau Bitcoin, quel serait le « Plan de Reprise d’Activités (PRA) » d’une monnaie unique mondiale ? bitcoin monnaie unique mondiale me paraît être un « Single Point of Failure (SPOF) » économique.
La seconde solution c’est une libre concurrence de monnaies numériques privées et publiques avec éventuellement bitcoin en trublion. C’est la solution où bitcoin serait utilisé en tant que monnaie d’épargne (monnaie de placement), au mieux. C’est un système où la concurrence entre les émetteurs des monnaies inciterait à produire des monnaies numériques stables. L’inconvénient de ce système c’est qu’il nécessite des interventions pour administrer les monnaies. Mais ces « interventions » seraient mises en concurrence afin qu’il n’y ait pas de dérives. La stabilité de chaque monnaie dépendrait de la quantité de monnaie émise de toutes les autres monnaies sur la zone économique, et du niveau des prix d’un large panier de produits de consommation. Ce seraient les monnaies les plus stables qui auraient le plus de clients. Garder ou gagner des clients, c’est l’incitation majeure qui fait que le système devrait être stable. L’avantage de ce système c’est qu’il viserait la stabilité des prix dans le temps. Hayek soutient que les monnaies les plus capables de garantir un pouvoir d’achat stable chasseraient les moins capables du marché.
Psychologiquement, intellectuellement et économiquement, c’est plus facile de comprendre les impacts macro de ce scénario. La stabilité des monnaies, devrait tout simplement apporter une stabilité économique et accompagner la véritable croissance des échanges économiques. Dans ce format, la monnaie perd sa fonction de « marchandise ». La monnaie est en quelque sorte insignifiante mais elle est néanmoins utile pour les transactions.
Ce système pourrait théoriquement limiter les problèmes du système existant (inflation monétaire déraisonnable, endettement insoutenable et dépréciation de la monnaie).
Pour diminuer les risques liés à la concurrence et à la mauvaise gestion de certaines monnaies, Bitcoin pourrait garder la fonction de registre des comptes épargnes du monde entier, et les multiples monnaies numériques privées et publiques seraient uniquement les comptes courants. Les multiples monnaies numériques émises seraient une barrière aux crises systémiques. C’est le cloisonnement des banques de dépôts et d’investissements en plus poussé, car c’est le cloisonnement directement par la monnaie. Le système serait robuste, voire anti-fragile car il se renforcerait via la sélection des meilleurs émetteurs de monnaies avec le temps. La logique déflationniste de bitcoin sur les prix disparaît, et bitcoin serait utilisé exclusivement pour ses qualités. Il y a quand même une inconnue : comment s’équilibrerait le transfert de valeur entre une monnaie d’épargne qui s’apprécie, et des monnaies stables dans le temps ? Je pense que les monnaies stables freineraient la demande en bitcoin (loi de Gresham à l’envers. Dans une marché libre, c'est la bonne monnaie qui chasserait la mauvaise). Bitcoin deviendrait peut-être une sorte d’épargne à rendement faible dès lors qu’il aurait atteint un certain niveau d’encaisses réelles. Mais Bitcoin serait toujours l’assurance de la sécurité optimale de ses dépôts.
Tout au long de mes publications, je m’efforce de démontrer que le sujet bitcoin est beaucoup plus complexe qu’il n’en a l’air. Il ne peut pas y voir de consensus sur bitcoin car bitcoin touche à la monnaie. Il y a beaucoup de théories économiques sur les monnaies. Les qualités et les défauts d’une monnaie influencent grandement ses fonctionnalités et donc son utilisation en pratique. Cette utilisation n’est pas dictée, elle est le fruit des choix de la population. Bien sûr le monopole des monnaies dans le système actuel donne un cadre et une direction à cette utilisation. Mais pas avec bitcoin. Bitcoin va encore devoir trouver sa véritable « fonction » seul de manière darwinienne.
Philosophiquement, on est en droit de s’interroger si la monnaie doit être un instrument de planification monétaire et d’orientation de l’économie. Bitcoin seul est décentralisé et acéphale certes mais il implique une sorte de planification économique centralisée via sa rareté absolue. Cela reviendrait à donner à bitcoin un rôle de maître absolu sur nos vies.
Est-ce qu’une monnaie devrait endosser ce rôle ?
Notamment, lorsque « ce maître » nous oriente vers une trajectoire économique inconnue ?
Est-ce que l’Humanité a besoin d’une monnaie qui décide de son sort pour elle ? Il est vrai que l’Histoire nous a montré que lorsque la monnaie était gérée par quelques personnes, elle finissait par se déprécier.
Mais, est-ce qu’un autre système permettrait de ne pas donner les clés de l’économie à une seule monnaie ?
La concurrence des monnaies est une autre voie possible. Une voie intermédiaire, entre un système inflationniste et un système déflationniste. Une voie théoriquement de stabilité et d’équilibre.
La concurrence des monnaies à l’aide des blockchains semble sur le papier un avenir moins radical que bitcoin seul. Peut-être que la sagesse ça serait d’abord de tester ce système monétaire intermédiaire.
La seule solution plausible que je perçois c’est la concurrence des monnaies, en opposition au monopole des monnaies. Bitcoin aura gagné oui, car l’objectif de Bitcoin c’était d’abolir le monopole des monnaies fiduciaires. Mais si rien n’est fait, la route vers un modèle déflationniste, n’est-elle pas la route de la servitude des peuples par une monnaie ? L’interventionnisme de l’état aura été remplacé par l’interventionnisme d’une monnaie.
Que voulons-nous pour notre avenir ?
Donner autant de pouvoir à une monnaie est-ce bien ?
Voulons-nous garder le contrôle ou le confier à un code informatique ?
Comment garder le contrôle sans tomber dans nos travers d’émissions excessives de monnaies ?
Quels objectifs sociétaux voulons-nous donner aux monnaies ?
Les technologies popularisées par Bitcoin permettent désormais de faire du sur-mesure, des monnaies à la carte.
C’est une nouvelle ère monétaire qui s’ouvre.
Si nous le décidons collectivement, nous pouvons disposer du système monétaire le plus stable jamais connu dans l’Histoire monétaire. A l’heure où l’Humanité va devoir lutter contre le réchauffement climatique, la stabilité économique me paraît être un prérequis fondamental. Une économie défaillante ne ferait que reléguer cette préoccupation dans un niveau inférieur de priorités.
La transition vers un nouveau système monétaire (qui est déjà en marche) risque de faire l’objet d’une « bataille » entre les monnaies publiques, les monnaies numériques privées et bitcoin (monnaie libre). Peut-être qu’il y aura des associations de circonstances à contrecœur qui auraient été autrefois impossibles, car l’adversaire (bitcoin surement) sera vu comme une menace trop importante pour les politiques et pour une partie de la population des pays riches. Peut-être même que les politiciens finiront par autoriser les monnaies numériques privées pour contrer l’ascension de Bitcoin et garder le contrôle par la voie juridique (règlementation de l’émission privée des monnaies) ? Peut-être qu’une fois le vide comblé, bitcoin resterait une monnaie « partielle », en l’occurrence une monnaie de placement.
L’idée de cette publication n’est pas de vous convaincre de rejoindre tel ou tel « camp ». En aucun cas.
L’idée c’est de vous transmettre des clés de lecture afin que vous puissiez être acteur en connaissance de cause.
L’idée c’est d’identifier les scénarios plausibles et d’expliquer leurs différences fondamentales.
Bien sûr j’ai un parti pris car je perçois des risques avec la solution bitcoin en tant que monnaie de paiement.
Etre pour ou contre bitcoin en tant que monnaie de paiement, c’est choisir entre être pour ou contre une logique déflationniste de l’économie. Pour cela, il faudrait donc d’abord déterminer qu’est-ce vraiment une économie déflationniste. En fonction de la réponse, si elle est possible et convenable, vous pourrez juger si bitcoin est une « bonne » ou une « mauvaise » monnaie de paiement. En attendant, dans le doute, et tant que je n’aurais pas l’assurance qu’un scénario déflationniste n’est pas risqué même à longue échéance, bitcoin restera à mes yeux seulement une monnaie d’épargne, au mieux.