D'où vient le schisme entre ceux qui pensent que la politique monétaire, si elle est trop laxiste pendant trop longtemps, peut conduire indirectement à de l'inflation, et ceux qui pensent - malgré les faits têtus - que l'inflation n'a aucun lien avec la création monétaire ?
Et, pourquoi fondamentalement, c'est l'objectif inflexible d'inflation à 2% de la BCE pendant deux décennies, qui a conduit inexorablement à 11.5% d'inflation en moyenne en Europe sur 2022 ?
Derrière ce clivage théorique se cache une confusion terminologique (instaurée pernicieusement) entre inflation (perte du pouvoir d'achat des unités monétaires en terme réel), et hausse des prix (choc négatif de l'offre), mais j'identifie surtout une présomption fatale qui date de plusieurs décennies dans le milieu politico-administratif, notamment en Europe mais pas seulement.
C'est le péché monétaire de l'Occident.
Beaucoup d'économistes contemporains réfutent l'idée que la création monétaire puisse être à l'origine d'un phénomène généralisé de hausse des prix. Ce sont souvent (mais heureusement il y a des exceptions) des économistes qui vivent directement ou indirectement de la politique des Etats. Au fil des années, j'ai donc pris pour habitude avant d'écouter un économiste (ou juste après), de me renseigner sur sa façon de penser et sa liberté de parole, en essayant d'identifier sur internet ses sources primaires de revenus (poste de chercheur à temps plein à l'université, cours sporadiques en école, production de livres, associé dans un cabinet indépendant, poste dans une institution publique ou dans une entreprise privée, affiliation à un Think Tank spin off d'un courant politique,...). A partir de ces simples recherches rapides, je suis presque en mesure aujourd'hui d'anticiper les réponses de l'économiste en question, comme un livre ouvert. Par exemple, vous imaginez bien qu'un économiste salarié de la BCE (c'est à dire un thuriféraire des politiques monétaires laxistes) aura surement des mots très durs concernant Bitcoin (système monétaire avec une masse monétaire inélastique au terme de son émission programmée, et éthiquement distribuée par les entrepreneurs et la concurrence libre dans l'économie marchande), puisque l'objectif très long terme de bitcoin est de soustraire les banques centrales, dans une démarche apophatique. Dans l'état actuel de mes connaissances, le seul économiste et institutionnel (à la retraite) qui m'a agréablement surpris tout dernièrement c'est Jacques de Larosière (ancien directeur du FMI, ancien directeur du Trésor français, ancien gouverneur de la banque de France). A mon avis, s'il s'exprime à 94 ans avec autant de gravité et sans langue de bois en nommant clairement les coupables (cf. mes publications précédentes), c'est qu'il estime que les politiques monétaires occidentales actuelles iront dans le mur. Malheureusement, il n'est pas beaucoup écouté par ses pairs malgré sa carrière. Nous le savons, toute vérité n'est pas bonne à dire, et peut-être que l'éthique de servir avec honnêteté les citoyens est une qualité qui s'est érodée avec le temps et les bouleversements sociétaux (ex : avènement du capitalisme de connivence et financiarisé). Les voies du déni ou de l'omission sont beaucoup plus faciles (l'omission doit-elle être considérée comme un mensonge ? Chacun jugera via sa propre grille de lecture morale). Nous poussons le tas de problèmes à nos descendants, et ils auront sans doute raison de nous en vouloir plus tard car nous aurons été extrêmement égoïstes. C'est un défaut majeur inhérent à nos systèmes démocratiques que Tocqueville ou De la Boétie (pour ne citer qu'eux) avaient très justement perçu, il y a fort longtemps. En conclusion de cette parenthèse sur les points de vue des économistes, je dirais qu'il est important de nos jours d'être son propre média, et d'être un peu journaliste d'investigation à ses heures perdues, si on désire être un citoyen éclairé, car en matière économique la désinformation n'a jamais été aussi grande. Cela est dû au fait que les résultats des "policy-mix" sont mauvais. Lorsque les résultats économiques sont bons, le mensonge devient accessoire. Que les politiques omettent de dire toute la vérité c'est habituel. Ce qui est plus inhabituel c'est qu'une grande institution sui generis normalement au service des citoyens et de la démocratie, soit tombée dans les mêmes vices. La politisation des politiques monétaires est redevenue la norme comme au temps où les banques centrales n'étaient pas aussi indépendantes dans les textes. C'est à se demander si cette séparation des pouvoirs n'est pas une illusion de plus, et que la pratique s'est considérablement éloignée de la noble théorie. La stabilité des prix n'est plus l'unique objectif des banques centrales à l'évidence.
Globalement, on semble mieux accepter l'inflation que l'augmentation des impôts, c'est cette "servitude volontaire" qui me rend de plus en plus pessimiste sur les chances de succès de bitcoin sur tous les tableaux (valeur refuge, monnaie courante,...). En tout cas, c'est la grande question philosophique à laquelle bitcoin essaye de répondre depuis 14 ans. Est-ce que majoritairement nous désirons plus de liberté (et des grandes responsabilités via un principe de subsidiarité), ou souhaitons-nous nous inscrire dans toujours plus de protection centralisée (illusoire et temporaire car la facture finira par tomber un jour) des Etats, quitte à perdre quelques droits fondamentaux sur l'autel de notre passion pour l'égalité ? Mon intuition aujourd'hui, c'est qu'en Occident (disons dans les pays riches), bitcoin pourrait juste devenir un actif monétaire de diversification et de couverture au risque d'un effondrement brutal du système bancaire fiat. Une police d'assurance ou un canot de sauvetage, plus pratique que l'Or car plus transportable, plus sécable, et surtout il n'y a pas besoin d'un spectromètre pour certifier sa pureté (la cryptographie, les mathématiques et le Proof of Work ont soustrait le spectromètre). C'est déjà totalement inespéré comme cas d'usage, mais c'est plutôt éloigné de certaines utopies (très utiles au débat dans nos vieilles "démocraties" sociales car le sujet monétaire était jusqu'ici tabou, ou ignoré). Néanmoins, dans certains pays pauvres, voire mêmes pourquoi pas émergents, bitcoin pourrait connaître une adoption beaucoup plus généralisée, à condition bien sûr que l'Occident tolère bitcoin en ne manipulant pas son cours grâce aux moyens quasi illimités du système fiat, par exemple.
Revenons maintenant à notre problématique du départ concernant l'inflation et la création monétaire.
J'ai une première question provocatrice qui n'attend pas de réponse ici car elle me semble évidente :
Si la monnaie n'a pas le pouvoir de faire monter ou descendre le niveau des prix, pourquoi pilote-t-on l'objectif d'inflation via des politiques monétaires à la banque centrale ? (sic !)
A quoi sert la BCE, s'il n'y a pas de lien même indirect entre monnaie et inflation ? (deuxième sic !)
Et dans ce cas, comment fait la BCE pour atteindre son objectif d'inflation gravé dans le marbre ? (re sic !)
Seules, l'école monétariste ou l'école autrichienne d'économie, font un lien théorique direct (monétaristes) ou indirect (courant autrichien via la théorie du capital) entre la monnaie et l'inflation.
Depuis plusieurs décennies, les banquiers centraux se sont tous rangés derrière cette idée fallacieuse que l'inflation avait totalement disparue.
Il est vrai que pendant la "Grande Modération", les banques centrales éprouvaient des difficultés à atteindre le sacro-saint objectif de 2% d'inflation.
Il ne faut pas sous estimer le traumatisme qu'à dû être cette longue litanie d'échecs chaque année pendant des décennies, malgré les énormes efforts consentis (taux d'intérêts négatifs !). Aujourd'hui, on pourrait dire qu'ils tiennent presque leur revanche...si bien sûr on fait une moyenne sur 10 ans ;)
En revanche, cette quasi "disparition" de l'inflation a été l'occasion rêvée pour les banquiers centraux de "faire plaisir" (= politiser leurs politiques monétaires) aux gouvernements des Etats Providences pour s'endetter et faire rouler leurs dettes.
Le discours (inventé ici pour l'occasion) entre les gouverneurs des banques centrales (nationales), et les ministres de l'économie devait être du style (sans trop d'exagérations) :
"Allez-y c'est open bar, l'inflation a disparue pour l'éternité de toute façon ! Les taux seront toujours bas, il n'y a aucun risque pour la soutenabilité de votre dette !"
J'imagine assez facilement le processus de construction idéologique se mettre en place petit à petit.
Nous avons vécu dans cette illusion de prospérité, sans nécessité de réformes structurelles, pendant plusieurs décennies, pensant naïvement que l'argent solutionnerait tous les problèmes comme par magie.
Pourtant, cette quasi disparition de l'inflation généralisée pouvait s'expliquer très simplement par :
La mondialisation
Le vieillissement de la population
La révolution numérique
La financiarisation de l'économie
Et, c'est sans compter que l'inflation sectorielle a toujours été là sous nos yeux. Pour le commun des mortels, dans l'immobilier (cf. la courbe de Friggit, c'est limpide depuis la création de l'euro), et pour les plus initiés dans les titres financiers. C'est la conséquence du point 4.
Mais déjà à l'époque s'ils s'étaient donné les moyens (intellectuels de penser différemment), on pouvait discerner le signal au milieu du bruit, et donc le rôle (jamais vraiment disparu) inflationniste de la monnaie via...
...l'absence de déflation !
En effet, les points 1, 2 et 3 sont des facteurs déflationnistes extrêmement puissants, mais la création monétaire abondante sur plusieurs décennies a permis de contrecarrer ces phénomènes, pour atteindre - certes péniblement - une inflation autour de 1% chaque année.
C'est à cette époque là, qu'intervient l'erreur magistrale des banques centrales.
La très inexpérimentée Banque Centrale Européenne est tombée à pieds joints dans le premier piège rencontré de sa jeune histoire.
Est-ce qu'elle a compris son erreur avec la période inflationniste actuelle, ce n'est pas certain car l'aveuglement idéologique est toujours extrêmement fort. J'ai l'impression qu'ils sont encore dans la phase psychologique du déni. La preuve c'est qu'ils s'efforcent de mettre en œuvre des mécanismes de défense comme la réouverture de leur blog à destination du grand public. Blog sur lequel ils préfèrent encore aujourd'hui taper bêtement et inutilement sur bitcoin alors que l'Europe fait face à 11,5% d'inflation en moyenne. Je rappelle que bitcoin représente actuellement seulement 300 milliards d'euros, c'est une goutte d'eau dans l'océan de liquidités en Europe. C'est très loin d'être un problème de stabilité systémique, surtout que le risque n'est pas distribué (il n'y a pas de "socialisation des pertes" contrairement à la crise de 2008 dont les politiques monétaires trop accommodantes dans les années 2000 étaient là aussi la véritable source originelle). Cette obsession récurrente de la BCE pour bitcoin est pour le moins étonnante. Ils vont finir par crédibiliser sa proposition alternative à force d'en avoir peur ! Personnellement, j'attendais sur ce blog avec impatience un article de mea culpa de Christine Lagarde pour (re)crédibiliser l'action de la BCE, et montrer qu'ils apprennent de leurs échecs (tout le monde en fait). Tant qu'ils ne feront pas ça, c'est mauvais signe pour l'euro et notre économie, sur le long terme. On peut légitiment se poser la question du fonctionnement démocratique de cette institution qui gère notre bien commun qu'est l'euro. Rappelons pour ceux qui l'ignorent que ce sont les échangistes qui font la valeur de l'euro, et non la BCE. La BCE est en mesure de "créer" des encaisses nominales mais en aucun cas des encaisses réelles. C'est ça la dure réalité du fonctionnement de la monnaie depuis la nuit de temps. D'où, le titre de cet article : "Vanité fatale de la BCE". Et s'ils continuent sans auto-critique, l'horizon de la BCE sera sans doute "la route de l'insignifiance". Pour ceux qui n'auraient pas compris, je "retourne" les termes de leur article au vitriol sur bitcoin publié sur leur blog cette semaine. S'ils étaient sympas, ils pourraient publier mon article et j'en ferai de même avec le leur sur mon blog ;). Bref, ils arriveront certainement à retarder la dégradation progressive du système, mais ils ne modifieront pas l'issue. A l'égard de tout pronostic, le grand maître, c'est l'événement. Et l'événement, hélas, a déjà jugé comme disait Jacques Rueff. La banque centrale européenne pourrait finir comme la banque centrale japonaise. D'ailleurs, un ancien gouverneur de la banque centrale japonaise exhorte les autres grandes banques centrales à ne pas faire les mêmes erreurs qu'elle (en l'occurrence, garder les taux bas trop longtemps, et faire trop de Quantitative Easing), car c'est une voie sans issue, sauf à devoir créer une nouvelle banque centrale un jour pour restaurer la confiance.
Cette erreur fondamentale que j'évoquais un peu plus haut, quelle est-elle au fait ?
Là voilà :
Ils auraient dû se contenter de cette inflation de 1%, et ne pas chercher à tout prix à atteindre l'objectif de 2%.
Peut-être que l'intéressement annuel à la BCE est objectivé sur l'atteinte des 2% ? (joke)
Dans cet écart de 1%, les banques centrales y ont vu un effet d'aubaine pour ouvrir encore plus à fond les vannes monétaires, et même pousser les Etats membres à s'endetter toujours plus.
Tout ce petit monde dans leur tour d'ivoire s'étant convaincu (biais de confirmation) qu'une création monétaire même outrageusement excessive ne comportait plus aucun risque, et que c'était même bénéfique pour l'économie réelle. Il y a des adultes qui croient encore au père Noël visiblement :)
Pourtant, Friedrich Hayek (Prix Nobel), Milton Friedman (Prix Nobel), Richard Cantillon, Jean Bodin, Ludwig Von Mises et bien d'autres, avaient déjà largement écrit sur cette vérité empirique et historique. Les pensées progressistes n'ont pas toujours que du bon, surtout en économie. Cet épisode inflationniste est une raison (preuve s'il en fallait) pour s'opposer ardemment aux théories monétaires modernes, comme le concept de monnaie "écologique" (qui n'en a que le nom !) de Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean (Carbone 4) par exemple (cf. je vous renvoie à la critique que j'avais rédigé sur ce livre en Mars 2022).
Une longue période d'insouciance (paix, résultats économiques corrects en apparence, peu d'inflation,...) diminue considérablement la faculté collective à matérialiser les risques rares, c'est un grand classique de nos sociétés modernes complexes devenues extrêmement fragiles.
Et, l'apogée de cette "anesthésie aux risques" dans la sphère politico-administrative, fût l'extraordinaire déversement monétaire pendant la pandémie.
Sauf, qu'ils ont oublié que s'il n'y avait pas d'inflation depuis des années, c'est notamment grâce à la mondialisation et aux chaines d'approvisionnement internationales, qui au redémarrage de nos économies post-confinement, étaient pour la plupart dysfonctionnelles.
A partir de ce moment, "trop de monnaie a commencé à chasser trop peu de biens", et l'inflation a commencé à se diffuser un peu partout, en commençant par les biens les moins élastiques, les matières premières et les biens de production.
A force de dire partout que la création monétaire n'était plus fondamentalement inflationniste, ils ont fini par croire à cette contre-vérité historique.
Personnellement, j'identifie d'ores et déjà plusieurs retours d'expérience :
Un objectif rigide peut être stupide. C'est le cas pour la doctrine des 2% d'inflation
Les taux bas ont financiarisé l'économie, et accrus les inégalités sociales
Les taux bas ont valorisé l'immobilier. Ce n'est en aucun cas de la véritable richesse, c'est une bulle de valorisation
L'accroissement de la dette globale dans le monde (360% du PIB) fragilise grandement le système bancaire et financier
Et, le plus grave dans tout ça, c'est que la financiarisation de l'économie a beaucoup affaiblit l'investissement productif, et donc la croissance réelle de l'économie. L'Europe du Sud s'est fortement désindustrialisé à cause d'une mauvaise allocation chronique du capital.
Et tout ceci, c'est d'abord la conséquence d'un mauvais objectif initial, et d'un schéma de pensée erroné au sein de la Banque Centrale Européenne.
Même Keynes n'aurait sans doute jamais cautionné ce type de politiques monétaires.
Lui attribuer la paternité de cette politique serait exagérée.
La vérité (enfin celle à laquelle j'arrive humblement après des années de tentative de compréhension de cette énigme), c'est qu'il s'agit d'une politique monétaire devenue strictement politicienne, sans fondement économique rationnel et sans aucune discipline monétaire.
Le capitalisme originel qui a considérablement élevé le niveau de vie de milliards de personnes comme aucun autre système économique dans l'histoire et dans le monde, est devenu la victime collatérale, puis le bouc émissaire de ce dévoiement de la monnaie par le politique.
C'est le lointain héritage du "Nixon Shock".
Nous sommes tranquillement, consciencieusement et collectivement en train d'hypothéquer le niveau de vie de nos vieux jours, et plus grave celui de nos descendants.
Une fois qu'on a compris tout ça, il n'y a pas de retour en arrière possible, comment voulez-vous ne pas trouver la proposition alternative bitcoin à minima intéressante afin de diffuser massivement de l'auto-éducation économique, et une "autre vérité" ?
Faites preuve de curiosité. Indignez-vous. Intéressez-vous à la monnaie car c'est le cœur du réacteur de l'économie, de la politique, de l'avenir, du financement de la transition écologique et in fine de notre vie quotidienne.
Surtout, que la solution est somme toute assez simple mais elle demande une révolution dans les têtes de nos responsables politiques. Il faudrait redonner le goût à l'épargne et à l'investissement productif, en arrêtant les politiques monétaires trop accommodantes, qui sont empiriquement destructrices des véritables richesses. Il faudrait dénationaliser le temps économique en revenant à des taux naturels.
ECB, it's up to you !
The best way to kill bitcoin is to have good monetary policy.