Cet été, un livre a retenu toute mon attention : La tête, la main et le cœur (2020) de David Goodhart, journaliste, économiste et écrivain britannique. Bien que je ne partage pas intégralement sa vision, force est de constater que les faits, notamment les résultats des dernières élections législatives, semblent confirmer nombre de ses analyses.
Si Goodhart ne s’aventure pas directement sur le terrain de la monnaie ou du bitcoin, j’ai néanmoins ressenti une résonance entre ses réflexions et ces questions, peut-être en raison de mon propre biais d’attention. C'est le début d'une réflexion que je vous livre ici.
Goodhart dissèque avec finesse les dynamiques qui façonnent notre société, en particulier l'ascension d'une "élite cognitive". Son ouvrage met en lumière les tensions entre divers groupes sociaux, exacerbées par l’évolution du travail, de la reconnaissance sociale et des inégalités économiques au fil des décennies. Cette méritocratie cognitive semble aujourd'hui avoir atteint un sommet, dévoilant en parallèle les limites de son efficacité.
L’auteur part d’un constat : l’économie moderne valorise avant tout les compétences cognitives, incarnées par "la tête". Ce phénomène a favorisé l’ascension d’une élite cognitive, se démarquant des "mains" (les travailleurs manuels) et des "cœurs" (ceux investis dans les métiers du soin et des relations humaines). Cependant, la primauté accordée à "la tête" a creusé un fossé profond entre cette élite et le reste de la population, alimentant un ressentiment grandissant.
Même si l’on pouvait admettre une certaine légitimité à la méritocratie cognitive, Goodhart met en lumière l’injustice des écarts démesurés de gains et de pouvoir en faveur de cette élite. Il pose alors une question fondamentale : la société peut-elle véritablement prospérer quand une poignée d’individus détient le contrôle des ressources, des décisions et des savoirs essentiels à notre bien-être collectif ? Pour lui, l'insatisfaction croissante face à cette concentration du pouvoir est le signe d’une réponse négative.
La monnaie elle-même illustre cette domination cognitive. Jadis adossée à des actifs tangibles comme l’or, elle est désormais une construction abstraite, gérée par des institutions politiques et financières complexes, souvent opaques pour la majorité des citoyens. Cette "monnaie cognitive", façonnée par une élite économique, paraît de plus en plus déconnectée des réalités quotidiennes.
Le système monétaire actuel repose sur des mécanismes financiers sophistiqués, où les décisions sont prises par des "experts". Cette élite cognitive, seule à maîtriser ces outils complexes, façonne les règles du jeu économique à son avantage. Et lorsque ces experts se trompent, comme ce fut le cas avec le retour de l’inflation en 2021, ils justifient leurs erreurs en affirmant que ces phénomènes échappent à la compréhension des non-initiés. Cette complexité croissante du système accentue la fracture entre ceux qui en maîtrisent les arcanes et ceux qui en subissent les effets.
C’est dans ce contexte de mécontentement général que Bitcoin émerge, tel un symbole de la révolte populaire contre cette monnaie cognitive. Bitcoin, en tant que système décentralisé, se présente comme une alternative à un système financier perçu comme corrompu et accaparé par une élite déconnectée. Là où la monnaie cognitive repose sur la confiance envers des institutions complexes, Bitcoin promet transparence, autonomie et démocratisation de l’accès à la monnaie.
Le paradoxe du bitcoin réside dans son origine : il semble lui-même issu de cette élite diplômée. De plus, le profil des "bitcoiners" reflète une communauté hautement qualifiée. Pourtant, ses créateurs, et bon nombre de ses adeptes, ont su dépasser leurs intérêts personnels pour embrasser une cause aux aspirations plus universelles.
Bitcoin n'est pas simplement une nouvelle forme de monnaie ; il incarne une révolution idéologique qui remet en question les fondements mêmes du système économique actuel.
Le succès de Bitcoin peut être interprété comme un signe de lassitude face à la centralisation du pouvoir et des ressources entre les mains d'une élite cognitive. C'est une tentative de redonner le pouvoir aux "mains" et aux "cœurs", d’instaurer un système plus inclusif où chacun pourrait participer sans devoir maîtriser les complexités de la finance moderne.
La montée en puissance de Bitcoin pourrait bien être l’annonce du crépuscule de cette monnaie cognitive. Dans un monde où les inégalités se creusent, où la méritocratie montre ses limites, et où le fossé entre les élites et le reste de la population se fait plus béant, il est naturel que des alternatives émergent. Le modèle actuel, centré sur la tête, semble de moins en moins capable de répondre aux besoins de la société dans son ensemble. L'émergence de Bitcoin pourrait bien marquer le début d'une révolte plus large contre cette concentration du pouvoir. Bitcoin pourrait être le signe avant-coureur d'une nouvelle ère, où la monnaie redeviendra un outil au service de tous, et non le privilège d’une élite cognitive.
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