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Le glissement sémantique et idéologique du terme "libéralisme" aux États-Unis

L'évolution du mot "libéralisme" aux États-Unis représente un glissement significatif par rapport à son sens classique en Europe. Alors que le libéralisme européen s'enracine dans des principes de liberté individuelle, de responsabilité personnelle et de limitation du pouvoir de l'État, son pendant américain a pris un chemin différent au cours du dernier siècle. Alain Laurent, dans Le libéralisme américain - Histoire d'un détournement, décrit ce processus de gauchissement qui a abouti à un changement radical du terme, désormais associé à des idées plus proches de l'interventionnisme et de la social-démocratie.


Les origines du libéralisme classique


Le libéralisme naît au XVIIIe siècle, avec des penseurs comme John Locke, Adam Smith, et plus tard Alexis de Tocqueville, qui défendent une vision fondée sur les droits naturels, le libre-échange et la séparation des pouvoirs. En Europe, cette philosophie a servi de base à des mouvements pour limiter le pouvoir de l'État et promouvoir le capitalisme de marché. Aux États-Unis, le libéralisme classique avait des défenseurs influents, comme Thomas Jefferson, pour qui la protection de la liberté individuelle face à un gouvernement intrusif était cruciale.


La mutation du libéralisme au début du XXe siècle


Selon Alain Laurent, la première moitié du XXe siècle marque un tournant dans l'évolution du libéralisme américain. Le terme commence à s'éloigner de ses racines classiques pour épouser une forme d'interventionnisme croissant. Les influences de philosophes comme John Dewey et les politiques du New Deal sous Franklin D. Roosevelt contribuent à redéfinir le libéralisme. Dewey et ses contemporains conçoivent un État plus actif, responsable d'assurer la justice sociale et de réduire les inégalités, ce qui s'oppose aux principes de non-intervention étatique du libéralisme classique.


Le New Deal, en particulier, marque l'apogée de ce détournement en ancrant l'idée que le gouvernement doit jouer un rôle central dans la régulation économique et le bien-être social. La notion de "liberté" se transforme alors : il ne s'agit plus uniquement de liberté face aux contraintes de l'État, mais aussi de la liberté "positive", c'est-à-dire d'assurer aux individus les conditions matérielles leur permettant de s'épanouir.


La fracture entre libéralisme européen et libéralisme américain


À partir des années 1960, le libéralisme américain prend une direction encore plus marquée vers la gauche, avec des revendications de justice sociale. Des penseurs comme John Rawls influencent cette nouvelle définition en introduisant l'idée que la justice sociale requiert une redistribution des richesses pour compenser les inégalités de départ.


Pendant ce temps, en Europe, le libéralisme reste largement ancré dans ses fondements originels. Les figures du libéralisme classique, comme Friedrich Hayek, continuent de promouvoir la réduction du rôle de l'État et l'importance de l'économie de marché. Ainsi, aux États-Unis, le terme "libéral" commence à être synonyme de "progressiste", tandis qu'en Europe, il reste associé aux idéaux de la liberté économique et individuelle.


Les conséquences du détournement sémantique


Le glissement du sens du mot "libéralisme" a eu un impact profond sur le débat politique. Aujourd'hui, aux États-Unis, ceux qui défendent un libéralisme classique sont souvent qualifiés de "conservateurs" ou de "libertariens", tandis que le terme "libéral" est principalement utilisé pour désigner les partisans de politiques économiques interventionnistes et de justice sociale.


Alain Laurent explique que ce détournement résulte d'une évolution idéologique où le libéralisme a été approprié par des mouvements réformistes. Ce changement a également conduit à un paradoxe : les "libéraux" américains peuvent parfois prôner un renforcement du pouvoir de l'État, alors que les "libéraux" européens continuent de défendre la limitation de ce pouvoir.


Conclusion : un mot, deux significations


L'histoire du libéralisme aux États-Unis montre comment un même mot peut évoluer pour désigner des idées presque opposées selon les contextes. Ce phénomène a contribué à brouiller les lignes entre les idéologies politiques, rendant le dialogue transatlantique plus complexe.

Le livre d'Alain Laurent apporte une analyse essentielle pour comprendre ce phénomène et souligne l'importance de clarifier les concepts dans le débat politique. En fin de compte, la compréhension de l'évolution du libéralisme américain invite à une réflexion plus large sur la signification de la liberté et sur le rôle de l'État dans la société moderne.




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