Après une dizaine d'années à faire la preuve de sa robustesse, et à gagner progressivement de la valeur subjective, bitcoin semble rentrer - depuis la crise sanitaire de 2020 - dans une période de relative thésaurisation par la voie institutionnelle. J'ai le sentiment que cette nouvelle phase pourrait durer plusieurs années, voire plusieurs décennies.
Le risque pour les "bitcoiners", c'est que bitcoin se fasse "financiariser" et qu'il devienne inaccessible (voire inintéressant). Sa démocratisation par la voie de la monétisation ne pourrait intervenir que dans l'hypothèse où cette phase de thésaurisation institutionnelle prenait fin brutalement pour des raisons exogènes à la blockchain Bitcoin (exemple : un évènement rare négatif à l'échelle d'un pays ou d'une zone qui compte mondialement).
C'est la trajectoire qu'a vécue l'Or à l'ère Axiale : forte thésaurisation par les "riches" (les ecclésiastiques notamment) de l'époque, puis brutale monétisation à cause de phénomènes sociétaux nouveaux comme une période de guerres, pendant laquelle fallait payer des armées avec des pièces de monnaie.
Cette phase de thésaurisation de bitcoin ne signifie pas qu'il atteindra obligatoirement plusieurs centaines de milliers d'euros, car son potentiel de valorisation pourrait rapidement être phagocyté par l'innovation financière (comme l'Or).
Je crois également que l'impérieuse nécessité de "maintenance" du protocole Bitcoin, implique que l'unité bitcoin ne remplacera jamais totalement l'Or physique en tant que valeur refuge ultime. Certains pensent que bitcoin c'est l'Or en mieux. Quand bitcoin aura éventuellement été soumis aux ravages du Temps et de la volatilité durant des centaines, voire des milliers d'années, peut-être qu'il pourra prétendre détrôner l'Or. En attendant, bitcoin est bitcoin.
Empiriquement, je dirais que bitcoin est une marchandise ou un objet de collection dont le stock a une limite absolue, est sécable et échangeable très facilement. Juridiquement, bitcoin est un crypto actif (spéculatif et hautement volatile), qui peut servir de monnaie (du fait de l'usage et non de la loi, en France), malgré son pouvoir libératoire très faible ainsi que l'obligation fiscale.
A ce jour, bitcoin ne valide aucune des trois fonctions monétaires Aristotélicienne (unité de compte, réserve de valeur, intermédiaire des échanges). Ce sont les plus connues, mais d'autres fonctions monétaires primordiales sont toujours insatisfaites, comme la "prévisibilité du pouvoir d'achat" dans le temps (si vous voulez être payé en bitcoin par exemple) qui découle de la fonction "réserve de valeur", ou encore un contexte politique pour construire le "fait monétaire" (valeurs sociales et collectives).
A ce jour, bitcoin est une monnaie zéro confiance (et donc plutôt à connotation individualiste). J'ai écrit un article sur ce sujet : "Monnaie vs bitcoin" (voie anthropologique).
bitcoin est (à ce stade de son développement) une monnaie que j'appelle "une monnaie chaos". Ce n'est pas péjoratif (dans ma grille de lecture). C'est une monnaie qui excellerait dans un monde avec un très fort désordre économique ou social, où la confiance entre les agents économiques serait très faible. Si bitcoin fonctionnait à court terme en tant que monnaie courante, il s'agirait donc d'une période plutôt troublée (non souhaitable). Le paradigme serait peut-être différent après une longue phase de thésaurisation puis une longue phase de déthésaurisation. Dans 50 ans, bitcoin sera peut-être une bonne monnaie stable (de paix) qui sait.
Pour élever bitcoin au rang de véritable monnaie, il faudrait un "contexte politique". J'ai écrit récemment un autre article sur ce sujet : "Bitcoin, la machine à rêves".
Il semblerait que son cours soit statistiquement décorrélé des autres classes d'actifs, c'est la raison pour laquelle les institutionnels commencent à s'y intéresser dans un objectif de (petite) diversification. Ils achètent aussi une promesse (spéculation) de valorisation future.
Structurellement, à court ou moyen terme, je ne croyais déjà pas beaucoup à l'hypothèse d'un bitcoin monnaie courante (en dehors de quelques "petits" ilots étatiques dont le système monétaire serait extrêmement instable), ou même d'un bitcoin étalon. J'ai donné plusieurs raisons factuelles dans les premiers articles de mon blog (encaisse nominale fixe, pas de contexte politique pour stabiliser le cours volatil, loi de Gresham, "Singularité Satoshi" à cause de la "Constante Satoshi" dans une économie fermée déflationniste,...).
Et, désormais, conjoncturellement, cette trajectoire prise dernièrement (ETF,...) vient assombrir un peu plus l'objectif idéalisé à court terme des bitcoiners.
Si bitcoin n'est pour le moment pas le nouvel âge d'Or espéré par certains, d'où peut venir le changement à court terme pour éviter les prochaines crises économiques, ou l'accroissement quasi exponentiel des inégalités à cause de l'inflation sectorielle notamment ?
Il suffit de regarder les records des indices boursiers pendant la pandémie pour comprendre que nous avons un problème de tuyauterie dans l'injection des liquidités. A la différence de la crise de 2008 (où l'abondance de liquidités avait servie à sauver globalement le système), le flot d'argent créé en 2020-2021 a permis en majeure partie de maintenir les salaires (en Europe), et la trésorerie des entreprises, ce qui est une bonne chose. Ces deux crises récentes doivent nous interroger sur la monnaie, la fonction sociale de la monnaie, le progrès technologique monétaire et le rôle des banques centrales.
Tout est une question de priorité et de valeurs.
Monnaie
Système bancaire
Economie
Entreprises
Etats
Intérêt général
Individus
Si je demande à 7 personnes de classer ces 7 notions par ordre de priorités de la plus prioritaire à la moins prioritaire, il est probable que j'aurais 7 ordres différents.
Pendant une crise financière (à cause d'innovations financières hautement risquées par exemple), "sacrifier" la monnaie au profit du système bancaire, était-ce une bonne ou une mauvaise stratégie ?
Pendant une crise sanitaire, "sacrifier" la monnaie au profit de l'économie, du collectif et des individus, était-ce une bonne ou une mauvaise stratégie ?
Est-ce que la monnaie doit être la variable d'ajustement en période de crise, et donc se déprécier pour gagner en Humanité ? Ou est-ce que la monnaie doit être "dure" ?
Chacun se forgera son opinion !
Pour ma part, je pense que la monnaie doit s'inscrire dans un "contexte politique" afin de poursuivre un objectif d'intérêt général. Un "contexte politique" n'est pas forcément synonyme de "monnaie étatique".
L'idée directrice, c'est comment faire en sorte que ça soit toujours l'intérêt général qui soit au centre des décisions de la politique monétaire ?
Je pense que les politiques doivent se réapproprier ces sujets, qu'ils ont abandonnés (pensant bien faire) aux seules banques centrales il y a quelques décennies. Peut-être qu'il faille associer via des mécanismes coopératifs innovants d'autres parties prenantes (représentants démocratiquement élus,...) dans ces politiques monétaires. Le débat sur la monnaie a été complètement écarté du débat public, et donc des débats politiques. La question de la monnaie est pourtant cruciale. C'est une des questions les plus importantes d'un espace politique. La monnaie est au cœur de notre système économique et occupe une place centrale dans notre vie quotidienne.
Bitcoin a le mérite de remettre (un peu) ces questions dans le débat public. Mais il y a encore beaucoup de travail de démocratisation. Pas sûr par exemple que nos politiques sachent tous comment la monnaie fonctionne. Et vous ? Savez vous par exemple faire la différence entre :
Monnaie scripturale
Cash
Stablecoins
Monnaie Numérique de Banque Centrale de détail (ou de gros)
Euro numérique
Monnaie digitale commerciale
Par exemple, savez vous que les euros à votre banque, ne sont pas tout à fait les mêmes euros que les billets ou pièces que vous avez dans votre portefeuille, en dehors de la nature physique et virtuelle ?
La monnaie que vous détenez sur votre compte courant ou épargne, est une créance de votre banque en votre faveur. C'est ce qu'on appelle la monnaie scripturale. C'est environ 90% de la monnaie en circulation de nos jours. On pourrait presque dire que les "monnaies scripturales" sont des "monnaies bancaires", et quasi des "monnaies privées", même si officiellement ce n'est pas le cas. La différence est ténue. Ces monnaies ont les mêmes caractéristiques que l'euro (actuel) de banque centrale, sauf que la fonction d'unité de compte est légèrement différente. Pas d'inquiétude outre-mesure, avec la gestion rigoureuse actuelle, et surtout la garantie des dépôts, c'est comme si vous déteniez de vrais euros de banque centrale.
Si vous voulez vraiment détenir de la monnaie de banque centrale, il faut détenir du cash, mais ce n'est évidemment pas très pratique au quotidien. Et surtout, cela ne vous couvre toujours pas contre une dépréciation éventuelle de l'euro (ex : via les assouplissements quantitatifs), ou de la fin décidée (très peu probable dans nos contrées) du cours légal d'un billet (comme en Inde dernièrement).
A notre époque, la création monétaire passe par les banques commerciales et des écritures sur les comptes via les crédits. Les « crédits font les dépôts ». Cela signifie que les crédits sont la source directe des dépôts.
Je tenais à aborder ces quelques sujets clés avant d'évoquer l'euro numérique.
Est-ce que l'euro numérique serait un progrès pour l'intérêt général ?
Si vous posez cette question à un maximaliste bitcoin, ou même au sein de l'écosystème crypto (non institutionnel), la réaction sera unanimement négative. Et même pour certains elle sera accompagnée de cris d'orfraie.
Ce n'est pas mon cas, et je vais essayer d'expliquer les raisons de cet avis plus nuancé.
Le déploiement du yuan numérique par la Chine (état totalitaire s'il faut le rappeler) n'est sans doute pas totalement étranger à cette réaction épidermique. C'est d'ailleurs un point crucial à ne pas négliger dans le futur débat d'euro numérique je crois (si débat il y a bien sûr). Maintenant que la Chine déploie une monnaie numérique de banque centrale, est-ce encore envisageable de suivre la même trajectoire ? Même si bien sûr, dans sa conception et son éventuelle application, l'euro numérique serait très certainement différent. Je rappelle que c'est l'Union Européenne qui a conçu le "Règlement Général sur la protection des Données" (RGPD) par exemple. Je ne crois pas qu'il faille craindre un totalitarisme monétaire de le part de la BCE (ou de l'UE). Toutefois, je conçois qu'il faille rester vigilant.
Je pense que dès lors que la Chine a opéré ce changement monétaire la première, c'est devenu de fait compliqué de la suivre dans son sillage, surtout si de l'autre côté de l'Atlantique et de la Manche, ils font un choix radicalement différent.
Un euro numérique ça serait l'équivalent du cash mais en numérique.
Il s'agirait d'euros "tokenized" émis directement par la banque centrale.
Vous auriez donc un compte ouvert directement à la banque centrale européenne.
Il s'agit d'une théorie vulgarisée car en pratique il y a plusieurs stratégies possibles.
Déjà, il faut faire la distinction entre deux formes d'euros numériques.
L'euro numérique de détail et l'euro numérique de gros.
L'euro numérique de gros c'est ce qui permettrait aux banques de faire les virements interbancaires. Cela viendrait à remplacer les "vrais euros" que les banques ont à la banque centrale (système TARGET2) pour consolider leurs "monnaies scripturales". Concernant le déploiement de cet euro numérique de gros, je crois qu'il n'y aura pas de débat car techniquement c'est un vrai avantage (sécurité, rapidité,...) il me semble, et il n'y a aucun enjeu vis à vis des citoyens européens. C'est un sujet qui se règlera entre la BCE, les banques commerciales et les différents régulateurs publics, sans que cela fasse couler beaucoup d'encre (numérique). C'est un changement technique en backoffice.
La vraie révolution, c'est lorsqu'on parle de l'euro numérique de détail.
Celui que tout à chacun nous pourrions "détenir" dans notre portefeuille électronique.
Vous n'auriez plus deux "sortes" d'euros en circulation...mais trois !
Le cash (de banque centrale), la monnaie scripturale (sur vos comptes bancaires), et l'euro numérique (de banque centrale).
Dans les faits, c'est sans doute la monnaie avec laquelle votre salaire serait versé, qui ferait office de monnaie courante...pour vous. J'imagine que chacun pourrait choisir dans un premier temps. Mais admettons que vous êtes payé avec de l'euro numérique, et que vous voulez retirer du cash (de banque centrale) au distributeur d'une banque commerciale ? ah ! Vous voyez que ça soulève des problèmes extrêmement pratiques dans notre vie quotidienne.
La fluidité entre tous ces types d'euros semble être une des clés du succès du "projet euro numérique" en devenir.
Idem pour les commerçants...il faudrait deux systèmes de paiements ou une compatibilité du système de paiement entre la monnaie scripturale et la monnaie numérique. Le commerçant aurait donc un compte à la BCE et un compte dans une banque, s'il n'y avait pas de consensus pour harmoniser et rendre interopérable les deux systèmes.
Techniquement, c'est donc un énorme défi !
C'est un risque pour l'euro, car la qualité première d'une monnaie c'est la confiance. Si vous avez des "bugs" à répétitions au lancement de l'euro numérique, cela risque d'impacter négativement cette confiance.
Ensuite, je fais le pari - assez facile - qu'il y aura une levée de boucliers des banques commerciales contre un euro numérique de banque centrale de détail. Pourquoi ? Parce que, si vous enlevez une partie des dépôts des banques pour le transformer en "euro numérique de banque centrale", vous enlevez une partie de l'oxygène du secteur bancaire, car vos dépôts seront directement à la banque centrale.
C'est éventuellement un risque pour la stabilité du système bancaire actuel. C'est un risque in fine pour l'économie réelle. Même si on l'a vu plus haut que ce sont les "crédits qui font les dépôts", et plus l'inverse.
Si on résume, on a donc une forte probabilité de rejet de la population à cause d'un projet similaire déjà sur les rails en Chine, un énorme challenge technique, et des acteurs puissants (les banques) qui ne devraient pas pousser activement pour ce changement, avant d'avoir à minima des certitudes sur le maintient de leurs activités, et de leurs prérogatives.
A ma connaissance, la BCE démarre à peine le projet d'étude de l'euro numérique. Cela doit durer plusieurs années.
L'imprévisibilité d'un tel changement, ainsi que le lobbying des banques commerciales, me font penser, que nous ne sommes pas prêt d'avoir un euro numérique de banque centrale de détail.
Néanmoins, la "tokenization" du monde est désormais en marche forcée, et l'Europe risque de perdre en souveraineté monétaire et bancaire si elle n'occupe pas le terrain rapidement.
C'est sans compter sur la future grande tendance des "metavers", où les jeunes générations pourront sans doute acheter des objets virtuels (NFT) avec de la monnaie numérique complémentaire émise par les géants de la Tech US. Dans un univers virtuel, le fait de la loi des monnaies n'est plus nécessaire à priori (? à vérifier). Un peu comme les "Miles" des compagnies aériennes qui sont des formes de monnaies complémentaires.
Si l'Europe n'agit pas, des acteurs comme Binance (chinois) ou Coinbase (américain) pourraient combler le vide. Avec la numérisation des banques, et la monnaie scripturale, l'Europe avait déjà perdue de sa souveraineté, car encore aujourd'hui, il n'y a aucun acteur majeur de paiement européen. A ce jour, les Etats-Unis, avec Visa, Mastercard ou Paypal, pourraient avoir accès dans l'absolu à toutes les données de transactions de paiement effectuées par les cartes bancaires des européens.
Il faut absolument que l'Europe construise une infrastructure commune et globale de monnaies numériques pour les dépôts, les paiements, et le change entre crypto-monnaies.
Et pour faire tout ça avec une certaine vélocité, la BCE a besoin des banques commerciales, de leurs moyens et de leur savoir faire technique.
Dans ce contexte difficile pour un éventuel euro numérique de banque centrale de détail, quelles autres solutions s'offrent à nous ?
La première, comme les Anglais ou les Américains, vous laissez tomber l'idée pour le moment d'une monnaie numérique de banque centrale de détail. Et, vous encadrez le marché des stablecoins adossés aux monnaies fiduciaires, via des règlementations pour éviter un risque systémique. C'est une solution "anglosaxonne", donc avec une vision libérale et de conquête du Monde (services financiers à la City par exemple). Je ne crois pas que ça soit une stratégie compatible avec la vision plus sociale de l'Europe continentale.
L'autre solution, plus séduisante à mon sens, c'est de favoriser l'émission des monnaies numériques de détail (adossées à un euro numérique de banque centrale de gros) par des acteurs privés règlementés (les banques commerciales uniquement par exemple). Techniquement, vous n'élaborez pas un "projet mammouth" dont la probabilité qu'il aille dans le mur est assez forte, car vous "splittez" et vous sous-traitez le problème aux nombreuses banques commerciales européennes. Ces monnaies numériques bancaires, auraient finalement la même "saveur" que les "monnaies scripturales" actuelles. C'est juste la technologie sous-jacente (tokenization) qui changerait. Il s'agirait d'un bond technologique pour rester dans le peloton de tête de la course monétaire mondiale qui démarre aux côtés des Etats-Unis et de la Chine. Les banques garderaient les dépôts de leurs clients. Et, peut-être qu'en prime nous aurions quelques services innovants.
Mais quel serait l'intérêt majeur de cette "tokenization" de l'euro pour les citoyens européens ?
C'est peut-être là, la limite de cette solution d'émission des monnaies numériques de détail par des acteurs privés règlementés. Elle est certes plus simple et plus rapide à mettre en œuvre qu'un euro numérique de banque centrale de détail. Il permet aussi de ne pas prendre trop de retard dans la "tokenization" de l'économie. Il est surtout beaucoup plus acceptable socialement. Nos habitudes quotidiennes ne changeraient pas beaucoup. Certains chercheurs en "monnaie" pensent même que les "habitudes" participent fortement au "fait monétaire". Donc, il faut faire très attention à ne pas "casser" cette routine par une utilisation trop différente.
Un euro numérique de détail émis par des acteurs privés règlementés n'apporterait aucune amélioration sur l'aspect politique monétaire, ou gestion de crise économique. C'est une des critiques qui cristallise les débats chez les bitcoiners. Vous aurez toujours une création monétaire via les banques commerciales, et donc via le crédit. Vous aurez toujours des inflations sectorielles, et donc des inégalités croissantes.
Pour ma part, je pense que l'euro numérique est une formidable opportunité de refondre la boîte à outils (devenue obsolète et qui a de fortes externalités) de la BCE, pour atteindre ses objectifs d'inflation et de stabilité (c'est l'effet iatrogène de la politique monétaire que j'expliquais dans ma - longue - publication "Blockchains and bitcoin" cet été).
Quelle fonctionnalité (par exemple) faudrait-il pour l'intérêt général dans le futur "euro numérique" ?
A mon sens, il faudrait une fonctionnalité dans l'euro numérique qui permette d'émettre différemment la monnaie. Un nouveau réseau de plomberie, qui ne fuit pas. Aujourd'hui, l'eau qui est sensée irriguer l'économie réelle en cas de crise, se retrouve trop souvent dans la piscine "finance", ou dans des secteurs devenus inflationnistes (immobilier) depuis une vingtaine d'années.
L'économie réelle ne doit pas être au service de la finance. C'est la finance qui doit être au service de l'économie réelle.
Par exemple, il faudrait s'autoriser une fonctionnalité de distribution gratuite de la monnaie. C'est ce qu'on appelle la "monnaie hélicoptère".
A chaque crise, la BCE fait office de pompiers en inondant les marchés de liquidités pour éviter l'assèchement des crédits, et donc des faillites en cascade. Mais ce sont ces mêmes liquidités qui parfois alimentent une bulle. Bulle qui peut finir par exploser plus tard et générer une nouvelle crise. Ce sont des cycles inflation-récession. Selon certains économistes réputés, ces cycles seraient étroitement liés à la politique monétaire.
Avec une fonctionnalité de monnaie hélicoptère, la BCE aurait un moyen de distribuer directement de la monnaie à une assiette plus large et plus équitable de citoyens européens, en cas de déflation (progrès technologique, vieillissement de la population, délocalisations pour baisser le coût de production,...), ou de crises.
Cette création monétaire ne passerait plus uniquement par les crédits. Il s'agirait de monnaie gratuite, et donc...sans dette.
Avec un euro numérique de banque centrale cette nouvelle fonctionnalité de secours paraissait assez simple à implémenter. Avec des monnaies numériques de détail émises par des acteurs privés règlementés, cela paraît légèrement plus complexe. Mais la BCE pourrait imposer un tel système (ou un autre meilleur avec le même objectif) aux banques dans le cahier des charges des futures monnaies numériques.
Avec une fonctionnalité de "secours" de ce genre, il s'agirait là peut-être d'une amélioration sensible du système monétaire actuel. A éprouver en pratique bien sûr !
Le revers de la médaille c’est que si vous utilisez la monnaie hélicoptère comme outil de stabilisation des prix ou de gestion des crises, les banquiers centraux ont moins la nécessité de cibler des taux directeurs bas. Si les taux d’intérêts remontent, c’est le poids de la dette souveraine qui augmente. Et, les crédits immobiliers coûteraient plus cher également. Par conséquent, ce sont des choix sociétaux et politiques.
La monnaie hélicoptère serait un excellent moyen pour les banquiers centraux de respecter leurs prérogatives de légère inflation, de ne pas alimenter de bulles (et donc de crises futures), de redorer leur capital image (distribution d’argent sans distinction et réduction des inégalités), et de mettre les politiciens devant leurs responsabilités (gestion de l’endettement souverain).
En conclusion, peut-être qu'il faudrait débattre sur ce type de fonctionnalité avant la conception technique d'un euro numérique de banque centrale, ou de monnaies numériques de détail émises par des acteurs privés règlementés.
J'identifie trois axes majeurs de réflexion pour un futur "euro numérique" :
Course technologique mondiale
Souveraineté européenne
Intérêt général
Et, la première des nécessités c'est d'associer dès le début le grand public et les politiques dans cette réflexion globale de transformation du système monétaire européen. L'avènement des monnaies numériques est un risque si rien n'est fait, mais ça peut aussi être une opportunité en "or" pour refondre le système en mieux. Si la BCE conçoit seule cet euro numérique dans son coin, c'est...conforter bitcoin ou les futurs stablecoins (US, UK, GAFA,...).
Pour terminer, la trajectoire préférentielle (selon moi) des monnaies numériques de détail (adossées à l'euro numérique de banque centrale de gros) émises par des acteurs privés règlementés (les banques commerciales), préparait (plus robuste - résilient - anti fragile) le système monétaire européen à une éventuelle impérieuse nécessité brutale (concurrence des GAFA, stabilité de la zone euro, crise des dettes souveraines,...) de mise en concurrence de futures monnaies numériques privées stables (en coupant le lien avec l'euro numérique de banque centrale de gros).