Claire Balva a écrit une tribune intitulée "Pourquoi la gauche aurait tort d’ignorer Bitcoin" pour The Big Whale (Grégory Raymond - Raphaël Bloch).
C’est un débat que je vois de plus en plus dans l’écosystème bitcoin en ce moment (Jacques Favier, Alexandre Stachtchenko, Emmanuel Harrault ⏚ pour ne citer qu'eux).
C’est peut-être une réaction à la parution du livre “No Crypto”, qui est une émanation idéologique d’une certaine gauche absolutiste, heureusement encore très minoritaire, mais dont l'autrice (journaliste "indépendante") a un accès aux médias totalement disproportionné.
A vrai dire, quand j’ai lu une première fois cette tribune de Claire Balva, je ne comprenais pas du tout cette forme d’appel au réveil de la gauche sur le sujet du bitcoin.
https://www.thebigwhale.io/article/pourquoi-la-gauche-aurait-tort-dignorer-bitcoin
Il me paraissait évident que la direction qu’avait prise la gauche française depuis environ 2 siècles n’était pas du tout compatible avec bitcoin.
J’ai toujours vu ces formes d’appels, comme l'expression d'un malaise ou d'une forme de culpabilité honteuse, de certains "bitcoiners de gauche".
Parfois, j’en étais même à me demander si un pro bitcoin qui se revendique de gauche n'était pas simplement un anti bitcoin qui s'ignorait.
En fait, pas du tout, il s’agit là d’une tribune extrêmement intéressante, qui a eu le mérite me concernant de me faire réfléchir à cette question que j’avais complètement éludée.
Pour moi, il ne fait aucun doute que Bitcoin est un pur projet d'idéologie libérale, vu qu'il veut réduire le pouvoir de battre la monnaie aux Etats.
Pour rappel, être libéral, c’est être ni de gauche, ni de droite.
Ou, plus exactement, c’est un mélange entre certaines valeurs de liberté vues comme de gauche et d’autres de droite.
Et, dans l'échiquier politique français, le libéralisme est devenu un gros mot (surtout à gauche), notamment parce que la philosophie libérale a été trop souvent réduite au libéralisme économique. Tandis que la gauche (française) s’est appropriée le libéralisme que je qualifie de “culturel”.
La mondialisation extrême et le capitalisme financiarisé ont jeté l'opprobre sur le libéralisme économique, alors que c'est l'élimination de la discipline monétaire par les Etats, qui a avant tout hypertrophié les externalités négatives.
En France, un libéral a donc une forme d'hémiplégie, s’il veut faire un choix politique.
Le bitcoin interroge intellectuellement sur pleins de concepts fondamentaux, et on pourrait donc ajouter maintenant "l’échiquier politique français" à la liste.
Peu le savent je crois, mais historiquement, la gauche française était beaucoup plus libérale qu'aujourd'hui, mais il y a eu une bascule au 19 ième siècle.
La gauche libérale a complètement disparu du paysage politique français.
La droite libérale n’est pas immunisée, c’est également un courant en voie de disparition.
Le libéralisme ne fait donc plus recette politiquement depuis très longtemps, bien qu'énormément de citoyens aient quand même l’impression que le libéralisme soit encore partout la norme.
C’est une forme de schizophrénie collective difficile à expliquer.
Mon intuition, c’est que le planisme, l’étatisme, le constructivisme, ou le dirigisme, peu importe comme on l’appelle, sont comme une “chaîne de domino”.
On est constamment obligé d’en ajouter pour avancer dès lors qu'on a posé le premier.
Un problème...on pose un nouveau domino.
Tous les dominos posés précédemment nous semblent toujours insuffisants.
Pour les libéraux, cette chaîne de domino représente en quelque sorte la route de la servitude.
Et, bien sûr, on ne retire jamais de domino, car ça n’aurait pas de sens dans cette construction de chaîne d’avoir un nouvel “espace (de liberté)”.
L’étatisme s'est infiltré à tous les étages, c’est un fait indéniable, et tout naturellement seuls les libéraux (devenus extrêmement minoritaires dans la pensée populaire) semblent en toute logique s’en inquiéter.
Seul peut-être le parti présidentiel semble un tantinet renouer avec cette conception d'une gauche libérale, tout en étant quand même très peu de gauche, et très peu libéral. Je dirais qu’il est plutôt positionné à "l’extrême centre" du diagramme politique en 2D (image de l'article). En France, ce positionnement c'est déjà prendre le risque d’être assimilé aux courants “ultra-libéral” ou “néo-libéral”. C'est ce qui se passe d'ailleurs.
Courant où est positionné Hayek peu ou proue.
Quand on pense que Frédéric Bastiat, dont certaines idées étaient assez proche de celles d'Hayek finalement, siégeait à gauche à l’assemblée au milieu du 19 ième siècle...on saisit que beaucoup de dominos ont été posés depuis.
La politique (comme l’économie d'ailleurs) est bien à l'évidence une science morale.
Et, les morales du 18 ième, du 19 ième, du 20 ième et du 21ème siècle sont extrêmement différentes.
Quand j'ai lu cette tribune la première fois, je me suis donc dit que d'appeler la gauche française du 21ème siècle à s'intéresser à bitcoin, c'était comme demander aux libéraux de s'intéresser au projet de monnaie volontaire de Nicolas Dufrêne ou plus globalement au planisme.
Mais, ce que j’avais fini par effacer involontairement de ma grille de lecture (maladie française, voire européenne peut-être), c'est que normalement le libéralisme transcende le clivage politique droite-gauche.
Une “gauche libérale” (socialisme libéral) est donc théoriquement du domaine du possible.
Transformer la monnaie pour qu’il y ait moins d'interventionnisme de l'État, c’est typiquement du libéralisme économique.
Pour que la gauche française n’ignore plus le bitcoin, elle devrait donc assumer l’idée que la liberté est un tout, et qu’il n’y a rien de honteux à défendre la liberté économique au même titre que celle des mœurs.
C’est à ce prix que la gauche parviendra à redécouvrir les vertus émancipatrices de la liberté.
Pour conclure, j’ai un énorme doute que le "désert politique" sur le quadrant de la "gauche libérale", voit l’émergence d’un nouveau courant (pro bitcoin) dans un avenir proche, car l'attrition du libéralisme est une tendance profonde depuis 2 siècles en Occident.
Même bitcoin n'aura pas ce pouvoir d'émancipation à mon avis, c'est trop lui demander alors qu'il fait déjà beaucoup.
Autrement dit, la “chaîne de blocs” bitcoin seule, ne pourra pas faire tomber la “chaîne de dominos”.
J’ai toujours ressenti qu’une révolution monétaire pacifique, pourrait avoir lieu qu’après éventuellement une révolution morale, et non l'inverse.
Il faudrait à mon sens un choc systémique (ex : une crise du super cycle de la dette qui a démarré au milieu du 20 ième siècle) pour voir peut-être un jour une telle révolution morale.
En attendant, même si je pense que ces appels à ne pas ignorer politiquement bitcoin sont vains, notamment en France, ils ont l'énorme mérite de ne pas laisser trop le champ libre aux étatistes extrêmes, de tout bord.