Depuis plusieurs décennies, les fondations de l'ordre monétaire mondial ont été discrètement mais radicalement transformées. L'économie mondiale, fortement globalisée et connectée, a donné naissance à un système financier international échappant aux paradigmes traditionnels. Ce système, surnommé "Global Money" par le Professeur Perry Mehrling, transcende les frontières nationales et déplace le centre de gravité monétaire vers un réseau décentralisé de financements transnationaux, connu sous le nom de marché monétaire global. Ce nouvel ordre remet en question la place centrale des banques centrales dans l'économie mondiale.
Le dollar offshore : une nouvelle réalité monétaire
Le cœur de ce changement réside dans l'évolution du rôle du dollar américain. Autrefois incontestable comme monnaie de réserve mondiale, le dollar a progressivement été remplacé par une version offshore, dématérialisée et apatridée. Ce "dollar offshore", ou "dollars-made-in-world" comme l'a décrit Alain Madelin, est une monnaie virtuelle qui circule dans un réseau complexe de transactions financières hors bilan, englobant des banques transnationales et le shadow banking.
Contrairement au dollar traditionnel émis par la réserve fédérale américaine, le dollar offshore est créé spontanément au sein de transactions entre institutions financières privées, notamment à travers des produits financiers complexes comme les swaps, les contrats de repo, et les produits dérivés. Ce système fonctionne indépendamment de la régulation des banques centrales, et c'est désormais là que se trouve la principale source de liquidité mondiale. Autrement dit, les banques centrales ne sont plus les acteurs principaux de la création monétaire.
Le collatéral : la nouvelle base monétaire
Dans ce nouveau paradigme, le collatéral joue un rôle crucial. Sans collatéral, il n'y a pas de crédit, et donc pas de monnaie (ou de quasi-monnaie). Le marché monétaire global repose sur des actifs considérés comme sûrs, tels que les obligations d'État, qui servent de garantie pour les prêts. Le collatéral remplace ainsi la monnaie de base autrefois émise par les banques centrales. Ce changement fondamental a bouleversé la manière dont les liquidités circulent à travers le système financier mondial.
La capacité des banques à fournir des liquidités dépend désormais de la disponibilité de ce collatéral. En période de stress financier, seuls les actifs les plus sûrs sont acceptés, ce qui peut entraîner des crises de liquidité soudaines et brutales.
La crise des banques centrales
Le rôle des banques centrales dans ce nouveau système est de plus en plus marginalisé. Alors que l'on pourrait penser que la politique monétaire traditionnelle, avec ses taux d'intérêt et ses injections de liquidités, a encore un impact décisif, la réalité est tout autre. Le véritable pouvoir réside dans la capacité des marchés financiers à générer et distribuer des liquidités via le collatéral. Les interventions des banques centrales, comme les politiques de quantitative easing, peuvent même exacerber les déséquilibres en réduisant la disponibilité de ce collatéral sur les marchés.
Une nouvelle donne pour l'économie mondiale
Cette évolution pose de nouveaux défis pour la gestion des économies nationales. Les États doivent repenser leur approche des finances publiques et de la régulation financière. Le rôle des dettes publiques, en particulier sous forme de collatéral, devient central dans le soutien à l'économie globale. Les États-Unis, par exemple, continuent d'émettre des obligations qui alimentent le système mondial en liquidités, renforçant ainsi la dépendance du système financier mondial à leur égard.
L'idée d'un déclin inévitable du dollar américain en tant que monnaie de réserve est largement exagérée. Le dollar reste au centre du système, mais sous une forme différente, moins visible et plus fragmentée. La véritable question n'est plus de savoir quelle monnaie prendra le relais du dollar, mais plutôt de comprendre comment gérer ce système financier mondialisé, décentralisé et dépendant du collatéral.
L'avenir des banques centrales
Alors que le rôle traditionnel des banques centrales s'efface, les gouvernements et les régulateurs doivent se préparer à un monde où le contrôle direct de la monnaie et de la liquidité est de plus en plus hors de portée des politiques monétaires conventionnelles. Le marché global des financements hors bilan, alimenté par le dollar offshore, impose une nouvelle réalité : les banques centrales ne sont plus centrales.
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